Faut-il renoncer aux espaces naturels à Bandol ?
La question d’un renoncement des espaces de nature pourrait se poser, d’autant que le principe semble déjà acquis considérant leur gestion jusqu’à présent.
La dégradation de l’état de la façade maritime encore naturelle est telle depuis quelques années que l’on pourrait croire que la ville tourne le dos à son authenticité. Si l’aménagement des sites naturels entre dans la logique touristique, il faut bien constater que cela est au détriment des zones fragiles. Pour plus de sécurité et toujours plus d’attractivité, la commune sacrifie ses derniers espaces remarquables.
Le rivage de Bandol, très apprécié dès le début du XXe siècle pour ses paysages balnéaires, a été rapidement habité et construit tout en conservant une harmonie paysagère. Les belles villas qui le bordent composent aujourd’hui le paysage bandolais autant que les bouquets de pins en crête de falaise. Cet équilibre élégant et subtil est l’identité de Bandol, construite au fil de 3 siècles d’histoire. C’est ce ratio bâtis/espaces naturels qui vaudrait d’être préservé aujourd’hui et cet équilibre est justement l’objectif de ce que doit être un plan d’urbanisme.
Le constat
La vitesse de dégradation de la façade littorale naturelle s’est accélérée ces dernières années. Les murs s’effondrent et les arbres tombent à une cadence désespérante. L’abime des falaises du sentier douanier se rapproche des balustrades de sécurité et du passage des piétons. Parallèlement, en bord de mer les chantiers de constructions se sont multipliés depuis 2014 (1) et les rues clôturées prennent des allures de labyrinthes. D’une part les espaces naturels reculent devant le béton, d’autre part les panoramas se raréfient. En cause, une volonté manifeste d’appliquer aux sites littoraux une gestion urbaine, déconnectée des exigences sociales et physiques du milieu naturel.
Notre association donne l’alerte mais n’est plus entendue.
La bordure naturelle littorale de Bandol en piteux état…
Dénaturation du paysage
Le phénomène d’urbanisation (et d’artificialisation) est un monstre vorace qui s’auto-alimente au-delà des stricts besoins de logements (seulement 37% de résidences occupées à l’année à Bandol, une démographie locale en baisse de -3,8% pour 2019), accentué par une multiplication de normes et d’obligations.
Un mécanisme pervers
Une maison, même petite ou isolée, ne reste jamais seule et la surface artificialisée induite se limite rarement à une simple surface de plancher. Il faut lui faire des routes autour, creuser pour enfouir des canalisations, dégager les abords pour le passage des fils électriques, débroussailler voire déboiser dans les 50m autour contre le risque incendie, garder une place au propre pour la voiture, un chemin d’accès jusqu’au garage, élever des clôtures de protection, des margelles autour de la piscine… autant d’aménagements d’usage en annexe dont personne ne songerait plus à se passer… Une simple maison est une amorce d’imperméabilisation qui peut vite dénaturer le paysage alentour.
Espaces naturels
Pour la seule année 2019, entre le Capelan et l’Anglaise (sur le sentier littoral avenue George V), en conséquence de récents permis de construire, 13 dérogations ont été accordées autorisant “exceptionnellement” le passage de camions excédant 3,5t en livraison de béton et autres matériaux, sur une période totale de 207 jours s’étalant de Janvier à Décembre. L’interdiction de passage aux véhicules lourds avait été décrétée suite à un affaissement de l’avenue George V (sentier littoral), en Janvier 2014 pour soulager le chemin de l’impact des véhicules. Depuis, suite aux fortes dégradations de l’état de surface occasionnées par les véhicules de chantier depuis 2018 (date des premières autorisations dérogeant à l’interdiction), l’accès a été bitumé en Décembre 2019 ; l’octroi d’autorisations “exceptionnelles” se poursuit en 2020 (déjà 8 depuis Janvier)…
Dans cette zone naturelle fragile (zone N1), l’urbanisme n’a donc eu d’autre réponse que l’artificialisation : plus de bitume, de béton et de clôtures.
Le littoral n’est pas un cas particulier. La même “érosion” du sol perméable et du végétal se vérifie ailleurs dans la ville. Les zones protégées, les parcs, et à plus petite échelle les espaces verts ont subit également d’importants coups de rabot.
Espaces verts urbains en régression
Pour résoudre un manque chronique d’entretien, certains parterres fleuris ont été arrachés et bétonnés ou couverts de moquette verte (route de Marseille, pont du Grand Vallat, route du Beausset, carrefour du collège).
La place de l’église a perdu ses grands platanes centenaires emblématiques.
Exit les séphoras de la rue Lumière, les palmiers de l’avenue Leclerc, avenue Albert 1er, rue Molière, et les arbres de la rue des orangers… les allées Vivien et l’avenue du 11 Novembre comptent aussi des pertes, non remplacées.
Les allées du cimetière ont été imperméabilisées.
Le projet du quai de Gaulle a eu aussi son lot de béton et de déracinés avec la suppression du terre-plein central, du parterre végétal du rond-point de la fontaine, une partie de celui la plage centrale ou la réduction du square Bir-Hakeim et des abords de la Maison des vins : Platanes, Lauriers-rose en tige, Washintonia, Chamaerops, Oliviers ont été abattus ou sont allés mourir dans la plaine des grands-ponts.
Les parcs municipaux et les espaces classés boisés sont également en déclin : annexés, déclassés, ou réduits (cabanes installées sur la pelouse du port, aménagement d’un parking dans le Parc du Capelan, déclassement de 6834m2 d’EBC au bois Maurin).
Les propriétés privées ne sont pas en reste. Depuis la suppression du COS, chaque autorisation se traduit désormais par l’arasage intégral du terrain pour profiter de la surface maximum constructible (cf photos). Le maintien de la seule bande séparative (de 4m) ne permet même pas, conformément au règlement, la replantation d’arbres de haute tige (l’emprise au sol d’un grand arbre étant souvent supérieure), et dans le meilleur des cas tout juste une petit allée et une haie vive, la tendance étant à la bande de pelouse artificielle. Les jardins se raréfient.
Une autre tendance est à la tronçonneuse pour faire place nette et agrandir l’espace de parcelles de plus en plus réduites, quand ce n’est pas pour simplement se conformer à la règlementation de prévention incendie (effet pervers du mitage en zone boisée). Ainsi le plan d’abattage massif dans la pinède de la résidence Athéna, pourtant dans un secteur protégé, identifié comme habitat privilégié pour la biodiversité locale et notamment pour un critère d’intérêt paysager (répertorié ZNIEFF : zone naturelle d’intérêt écologique pour la faune et la flore, site inscrit au titre de la Directive Habitats ). Au grand dam de certains copropriétaires…
Le paysage en voie de disparition
Le Méditerranée Accès central de Renecros Vue du Renecros
La beauté du paysage n’est pas intrinsèque, il faut qu’elle se voit. Sans le regard, pas de paysage.
Comme les espaces verts, le paysage subit des restrictions. Contrairement à une volonté claironnée par la municipalité d’ouvrir les perspectives, partout elles se ferment : élévation de la digue du parking du casino, défilés de motos devant la plage centrale et bientôt alignement des bus de la gare routière en entrée de ville avant le Casino, grille à la plage de Renecros, clôtures occultantes du Splendid et du Méditerranée, jusqu’aux impressionnants murs de clôture de la villa Roc à Pic en bordure du sentier littoral …
Digue du casino surélevée Clôture du Splendid Sentier littoral emmuré
Un PLU (dés-)orienté
Dans cette ligne de gestion des espaces naturels, la modification N°1 du PLU (mise en disposition du public du 21 janvier au 21 février) n’est pas plus engageante avec une constructibilité explicite formulée pour l’habitat en zones N. Le Plan local étant l’outil du futur développement de la ville, son orientation doit viser l’équilibre de l’espace, ou le rééquilibrage si besoin. Selon notre prisme de lecture focalisé sur l’environnement, ce n’est pas le cas avec cette modification, où malgré quelques items justifiés, la plupart des changements visent à mettre en conformité des réalisations déjà existantes (comme la zone N2c du parking du Capelan) et faciliter plus de nouveaux chantiers en zone naturelles (2).
Suffit-il de reconstruire là, ce qu’on laisse détruire ailleurs ?
Dans le même temps que des dérogations sont signées et que le PLU est modifié à la hâte en procédure simplifiée, l’équipe municipale sortante projette la création d’une “zone naturelle artificielle” avec un parc paysager de 8000m2 sur le terre-plein du château, à la place du parking gratuit. L’idée de réanimer cet espace n’est pas mauvaise (nous l’avions imaginé en 2015), mais prétendre transformer un terrain artificiel gagné sur la mer, un no man’s land à l’abandon, en un nouveau parc municipal alors même que factuellement partout dans la ville les espaces verts reculent et que le paysage naturel de nos calanques est en train de s’effondrer, relève d’un certain cynisme.
Doit-on considérer par là que les zones naturelles littorales sont condamnées et qu’il convient désormais d’en créer d’autres un peu moins “naturelles”, à des endroits plus vendeurs, plus pratiques, proches du centre et de ses stationnements ?
Partant de ce triste constat, faut-il alors renoncer à cette jolie bordure de nature le long de notre littoral, posée en surplomb de nos petites criques ? Doit-on désespérer que cette mince frontière entre la mer et la ville disparaisse, abimant les paysages d’enfance des uns, ou de vacances des autres ?
Notre réponse est bien évidemment NON !
Même si ce constat peu reluisant est aussi pour une part celui de notre impuissance à défendre l’intégrité du littoral bandolais comme nous l’aurions souhaité, et à mobiliser les moyens de la gouvernance municipale, nous ne baissons pas les bras. Le maintien du paysage exige mémoire, conviction, et mise en perspective ; savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on veut aller. Notre association pose comme principe en amont : la cohérence et la préservation de ce qui fait le caractère de notre bord de mer. Avant toute chose, il convient donc de préserver le caractère naturel existant du paysage.
________________________________
(1) En 2014, la loi Alur a supprimé le coefficient d’occupation des sols (COS), privilégiant les règles de prospects, de hauteur, gabarit, volume, et d’emprise au sol afin de rendre possible une plus grande constructibilité sur les terrains, quelque soit le zonage du PLU. A Bandol, la modification de 2016 a relativement permis d’en amoindrir les effets mais sans tenir aucun compte supplémentaire des zones spécifiques à fort enjeu littoral ou paysager, particulièrement ciblées, qui de ce fait ont été très impactées.
(2) Sur la constructibilité en zone naturelle, de la modification N°1 du PLU de 2019, pour “Clarification des dispositions règlementaires relatives aux habitations existantes en zone N”, la nouvelle rédaction proposée est : d’autoriser “le réaménagement des habitations existantes, dans le gabarit* existant.”, alors que le même règlement, quelques lignes plus haut, stipule que sont interdites “Les constructions de quelque nature que ce soit à l’exception de celles admises aux conditions particulières définies à l’article N1 2. En particulier, la transformation de constructions existantes, quelque soit leur vocation initiale, en construction à usage logement.” et que seule est autorisée “La reconstruction à l’identique des constructions sinistrées lorsqu’elles ont été légalement autorisées” !
*A noter la justification explicite du terme de « gabarit » empruntée au lexique national du Ministère de la Cohésion des territoires : « Il peut ainsi être utilisé pour octroyer des bonus de constructibilité ».
Vous avez dit “clarification” ?…