[R]apport des plages

Une économie fantasmée, déconnectée de la réalité environnementale

Le va-et-vient du sable est ici au cœur du sujet… ou plutôt au cœur du budget ! Les plages font le plaisir des sens mais elles sont aussi le moteur du dynamisme économique d’une ville balnéaire touristique. Chiffre d’affaire ou érosion, que l’on parle d’argent ou de sédiment, la balance est inégalement répartie…

Sable : un apport qui rapporte gros

Le Sud et ses plages de sables fins font rêver! En réalité, les plages de Provence ont une typologie méditerranéenne, et le sable n’est pas naturellement d’un blanc immaculé. Transformer les plages provençales, plutôt brunes du fait des banquettes de Posidonies, en plages de sable blanc dignes des Bahamas est un fantasme qui coûte cher : en 10 ans, une petite commune comme Bandol devra débourser 2,5 millions d’euros rien que pour le décor de sable de ses plages, sable qui repartira à la mer emporté par les vagues ! Ces chiffres proviennent d’une enquête locale menée à l’occasion de la diffusion de l’émission Capital cet été ( 31 juillet 2022) :

“En juillet-août, la population de Bandol est multipliée par cinq avec des vacanciers qui dépensent 250 euros en moyenne par semaine. Alors pour en attirer un maximum, la ville doit investir avec le nettoyage des plages et l’ajout de sable
afin de garder le décor de carte postale qu’on lui connaît. Mais, tout cela a un coût et il est conséquent.”

Les journalistes de Capital ont choisi la commune de Bandol pour un reportage sur le business très lucratif du bord de mer. Entre autre, l’émission aborde le détail des opérations de préparation des plages, et l’on comprend vite que les plages sont l’élément central (capital même !…) d’un système économique dont les considérations écologiques sont loin, très loin …

Résumé du reportage en quelques chiffres : 
  • Population locale multipliée par 5 en été
  • Panier moyen du touriste par semaine 250€ 
  • Sans la plage en journée, pas de dépense en soirée !
  • 250.000 € par an pour la gestion de plage [> soit 30€ par habitant permanent, et un peu moins de 6€ rapporté à la population estivale]

« – Vous ne pourriez pas laisser les plages au naturel ? »
« Au naturel !…non ! » 

  • 50.000€ pour le déplacement par camion des banquettes de Posidonie  

Michel et Christophe en cachent donc un peu partout, ici au bout d’une digue…
« – Elle est bien là, aux premières loges, face à la mer ! »
Ou sous les ponts de la ville, pour que les touristes ne la voient pas
.

La voie off continue…

• 600 tonnes de sables de rechargement d’après le reportage [en fait 600m3 soit //900 t] pour seulement 18.000€ de matière première. Trois camions font la navette chaque jour et il faut des jours de travail « Combien ? Beaucoup, entre 10 et 15 » [> Charge d’un camion benne // 30 tonnes ou 20m3, soit un trafic minimum équivalent à 30 camions ]

• 200.000 € par an pour le total des interventions, pour du sable dont l’inconvénient est qu’il repart à la mer chaque année presque intégralement ! 

Une absurdité écologique qui rapporte gros avec un retour global d’environ 52 millions d’euros dans l’économie locale. : une manne saisonnière en quelque sorte subventionnée par l’argent public investi pour les plages ( ou peut-on y voir le retour sur investissement de la rente des AOT d’établissements de plages ?). A en croire les chiffres égrenés dans l’émission, l’investissement global par la Ville pour la saison touristique serait une opération à l’équilibre pour la commune estimée à un total de 880.000€. Alors tout compte fait, dans l’absolu, 250.000€ par an juste pour le lifting des plages c’est même une affaire : chaque euro de l’argent public ainsi investi en rapporterait 208 ! 

En y regardant bien, le ré-ensablement saisonnier des plages n’est donc pas si cher payé puisqu’il supporte à lui seul toute l’économie saisonnière locale.

Par contre, c’est pour la santé de notre environnement que la note est salée ! A ce petit jeu bénéfique pour l’économie du tourisme, les cumuls du traffic d’engins lourds chaque année et du retour à la mer de la quasi intégralité du sable devant les plages [oups, là où sont les herbiers de Posidonies !] pourraient être un sérieux problème ! Ce sont d’ailleurs les motifs invoqués pour lesquels, cette année 2022, l’autorisation de rechargement des plages de Bandol n’a pas été accordée et une étude d’impact sérieuse a été demandée par l’autorité  environnementale. L’étude de diagnostic bathymétrique, réalisée par la mairie en mars 2022, -sur injonction de la DREAL-, a en effet confirmé une inquiétude préalable de 2021 faisant état d’une dégradation des herbiers (ensablement, faible croissance). 

D’une gestion raisonnée des plages au respect du milieu marin

En fait, il ne s’agit plus seulement d’embellir les plages avec du sable blanc mais de les recharger pour compenser l’amaigrissement hivernal. Régulièrement [ trop régulièrement ! ] les plages de Bandol, déshabillées par l’hiver, sont revêtues au printemps et ré-ensablées artificiellement avec du sable de carrière (1) pour palier au phénomène d’érosion qui s’intensifie. 

Cette année, la plage du Grand Vallat a subi un important reprofilage (2), gagnant ainsi de la surface sur la mer.

Ce large re-étalage des galets n’avait plus qu’à être associé à du sable pour devenir, cette année encore, le décor idéal de la carte postale bandolaise. Une nouvelle demande d’autorisation administrative a été formulée par la commune aux services de l’Etat au mois de mai 2022, et répondant à la demande de la DREAL en 2021 de produire une étude (3), la commune avait joint cette année au dossier de “cas par cas” une étude bathymétrique.

Cette étude de diagnostic du littoral, que la municipalité a présentée dans la perspective de sa “gestion raisonnée” des plages*, a pour objectif de : identifier les zones d’érosion / justifier et adapter le procédé de rechargement / éventuellement envisager d’autres méthodes pour pérenniser ses plages. A ce titre, l’intitulé du rapport d’étude est éclairant : “Diagnostic du littoral et étude de la dynamique sédimentaire des plages de Bandol en vue de travaux de protection du littoral”.

*Lire aussi Concilier entretien des plages et préservation du littoral : fantasme ou réalité ?

Digue vieillissante à Renecros ( aménagement statique dit “passif” )

Considérant l’érosion du trait de côte, on distingue deux grandes familles de solutions techniques :
Les méthodes « douces » ou  « actives » (aménagements dynamiques) utilisant et agissant sur les matériaux naturels. Ces techniques légères sont souvent utilisés de préférence à des ouvrages massifs, pour leur moindre impact sur l’environnement , et parce qu’ils représentent un investissement moins lourd , mais ils coûtent plus chers à l’entretien.

Les méthodes « dures » ou « passives » (aménagements statiques) basées sur la construction d’ouvrages lourds en mer ou sur le rivage. Ces ouvrages demandent un investissement plus élevé que les solutions qui composent avec le milieu, mais leur coût d’entretien est plus faible.

Rechargements et reprofilages sont le doublé classique : ils entrent dans la catégorie des méthodes dites “douces” dans la lutte contre l’érosion. Pour autant, en excès et à long terme, ils peuvent représenter une menace sur l’écosystème. Le sable rechargé, qui finit systématiquement par repartir au large, étouffe progressivement les herbiers de posidonies, menaçant la biodiversité… et la résilience des plages face à l’érosion ! Le sable qui “sauve” les plages chaque année, en fait les menace !

Pourvu qu’elle soit douceet sans impact sur le milieu !

L’enjeu d’une gestion raisonnée, outre de conserver un ratio de plage satisfaisant pour l’usage balnéaire, est aussi de ne pas porter atteinte à des biotopes marins jugés essentiels, dont les herbiers de Posidonie, espèce végétale marine protégée par la convention de Barcelone dont le premier des principes généraux (art. 6/a) de son protocole de gestion intégrée des zones côtières (GIZC), précise que le littoral est une “entité unique” dont il faut considérer la complémentarité et l’interdépendance de sa partie marine et de sa partie terrestre. 

Dans cette approche de préservation du biotope constitué par la plante marine Posidonia Oceanica, l’étude réalisée pour la côte sableuse de Bandol (4) est instructive puisqu’elle met en évidence des zones d’érosion et de transfert de sédiment mais fait également un diagnostic de l’état plus ou moins dégradé de l’herbier, d’Est en Ouest. Elle identifie notamment des zones d’ensablements, accrétion “qui pourrait être attribuée aux rechargements effectués”, complaisamment qualifiée de “gisement”
“Concernant la Plage du Grand Valat, on remarque également la présence de stocks sableux en bordure d’herbiers qui pourraient servir de gisement.” L’étude conclue de manière contradictoire que les rechargements de sable ne suffisent pas à compenser l’érosion… tout en préconisant la poursuite de ces rechargements !

“Les résultats d’évolution du trait de côte et des fonds ont mis en évidence les mouvements des stocks sédimentaires au sein des cellules. Les cartes d’évolution montrent qu’en général, on observe des tendances érosives, plus ou moins marquées sur l’ensemble des plages (recul
du trait de côte et abaissement du haut de plage, dépôts dans les petits fonds) avec des secteurs d’érosion et d’accrétion identifiés et ce, même avec les rechargements ponctuels.”

Une ambivalence qui de toute évidence n’a pas convaincu la DREAL qui a finalement demandé, par arrêté du 8 juillet 2022, la réalisation d’une étude d’impact plus sérieuse (sur la base de contenu défini par l’article 122-5 du code de l’environnement).
Un défaut d’autorisation qui n’aura pas impacté la saison estivale 2022 puisque, apparemment (cf photos ci-dessus), les rechargements avaient déjà été effectués fin Juin !

Tant que rêves et illusions feront marcher le commerce, paillettes et grains de sable seront de la fête… jusqu’au jour où le grain de sable de trop pourrait bien gripper la machine…

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Pour en savoir plus :

(1) Utiliser du sable de carrière pour le rechargement des plages peut être considéré comme étant “plus écologique” en considération de l’extraction de sable marin qui une ressource fossile surexploitée. Néanmoins, il a des impacts négatifs… Les apports de sable de carrière : un poison – Var Matin, édition du 8 Août 2020 >>> Retrouver l’article complet

(2) Définition d’un reprofilage de plage : Prélèvement, sur une plage en zone basse ou intertidale, de sable, de gravier ou de galets qui sont ensuite déposés et répartis en haut de cette plage.

(3) Première demande de la DREAL en 2021 : “En vue de préparer la saison estivale 2021, la mairie de Bandol a transmis une demande d’examen au cas par cas à l’Autorité Environnementale (AE) le 12 mars 2021, pour son projet de rechargement des plages communales de sable suivantes : Renecros, Centrale, Casino et Grand Vallat.
Par l’Arrêté n°AE-F09321P0081 du 30/04/2021, l’AE conclut en 2021 que le projet de rechargement de plages situés sur la commune de Bandol n’est pas soumis à étude d’impact MAIS engage la commune de Bandol à mener les actions suivantes :
• Déterminer la granulométrie nécessaire aux rechargements en fonction des bathymétries et des conditions de houles dimensionnantes
• Fournir les dynamiques sédimentaires
• Fournir une analyse plus précise des causes de départ du sable et un bilan environnemental au cours de l’année suivant le rechargement, s’appuyant sur une connaissance préalable de la bathymétrie et des conditions d’équilibres (granulométrie, profils) des plages concernées,
• Une analyse sur la localisation des enjeux environnementaux et sur les pratiques en matière de nettoyage des plages et des banquettes de Posidonie”

C’est cette étude demandée par la DREAL (AE) qui a été produite cette année.

(4) En 2022, lors d’une nouvelle demande de rechargement pour la saison estivale, la mairie produit une étude préalable, conformément à la demande de la DREAL. Une Notice environnementale et un Rapport d’étude de diagnostic du littoral et de la dynamique sédimentaire

(5) La convention de Barcelone pour la protection du milieu marin et du littoral de la Méditerranée est le principal instrument d’application de la convention sur la Diversité Biologique de 1992 pour la Méditerranée, quant à la gestion durable de la biodiversité côtière et marine.

Un GUIDE :

visuel des fiches techniques - mocomed