Les esquisses du futur quai De Gaulle
Le futur quai De Gaulle, un projet aux allures de serpent de mer depuis 30 ans, a été présenté en réunion publique le vendredi 14 avril dernier.
Ce projet «ambitieux» est désormais posé comme LE projet-phare de cette mandature. Depuis sa campagne, en décembre 2015, l’équipe de Notre vision pour Bandol menée par Jean-Paul Joseph incrivait déjà dans son programme la réfection du quai De Gaulle comme l’un des «Trois Grands Projets» de la campagne électorale.
«Il s’agit d’harmoniser notre front de mer et valoriser sa façade commerciale, afin d’améliorer l’attractivité de notre ville.»
Depuis, le projet n’a pas pris une ride, évoluant curieusement assez peu, et c’est avec les mêmes formules qu’on nous l’a présenté en ce mois d’Avril 2017 : «une vitrine pour Bandol», «nos Champs-Elysées», «incontournable», «un nouveau visage pour Bandol», «plus de place pour les promeneurs», «rendre son attractivité à notre ville», «c’est l’image qu’on donnera».
Le postulat
En élaboration depuis un an avec ID83, une SPL de conseil en ingénierie pour les communes, l’appel d’offre a désigné un vainqueur fin 2016, qui est venu présenter son projet sur la scène du théâtre Jules Verne.
Lors de la présentation publique, il s’est agit de quelques esquisses et de nouveaux mots-valises : «ouvrir l’espace», «recréer une nouvelle perspective» (entre la mer et les magasins), «rompre avec la perspective d’une ville à typologie routière», «rendre de la porosité à la plage» (?), «voir à nouveau la mer», et «pouvoir admirer ce cadre magnifique qui est le nôtre».
Ce cadre est certes magnifique mais, car d’après Jean-Paul Joseph «il y a un mais : le front de mer est séparé des commerces» ! » Le postulat (s’il en est un) est donc de pouvoir voir la mer en faisant les boutiques et de voir les boutiques en étant sur la plage ! «Parce que quand on fait les magasins, on doit les voir de loin et pas en levant les yeux au dernier moment » nous dit-on ! Pour cela, il faut donc «ouvrir l’espace» et supprimer tout ce qui gène la vue.
La nouveauté est donc dans la création d’une perspective transversale Terre-Mer qui veut rapprocher les terrasses commerciales de la plage et du port.
Pour dessiner «Demain», le seul usage identifié aujourd’hui à Bandol est exclusivement celui du tourisme : promenade et consommation au programme. Au XXIe siècle, le nouveau visage de Bandol sera donc celui d’un consommateur oisif (ou zombie) déambulant fatalement dans un espace vide (le concept est à la mode).
Le hic, c’est qu’à Bandol il n’y a pas que des promeneurs ; il y a aussi des gens qui travaillent, des automobilistes, des sportifs, des marins, des gens qui se lèvent tôt, des amoureux de la Provence et de ses traditions, bref des habitants.
Et surtout qu’entre les commerces et la plage, il reste toujours la route !
Le projet
Concrètement, les esquisses de l’unique projet présenté font place nette : exit le terre-plein central, la route Nord, le trottoir. Une très large promenade arborée est ainsi créée en récupérant tout cet espace cumulé, ininterrompue (1) du casino à la fontaine du Bicentenaire. Après avoir gagné sur la mer, on récupère ainsi « de 30 à 35m » entre les façades et la mer, «une formidable opportunité pour la ville» d’après le maitre d’œuvre Alain Goldtsimmer, paysagiste de la ville de Nice, qui doit visiblement aimer les grands espaces dégagés quand on considère le projet de la Colline à Nice.
D’après le plan, pour ne plus engorger la circulation principale, l’entrée au parking central est déplacée devant l’aire de carénage. La rue Voltaire débouche directement à la route désormais en double sens. Devant la mairie, la surface gagnée sur la route se rajoutera à l’esplanade de la liberté qui prendra ainsi des proportions considérables.
Le long du quai, les terrasses ne se rapprochent que de quelques mètres du plan d’eau en empiétant sur le tracé actuel de la route. En réalité, avec la disparition du terre plein central et les 5m règlementaires minimum de la voie de secours, les terrasses se retrouvent décalées directement en bord de route. L’ordonnance de la configuration globale, plus spacieuse, reste inchangée sauf disparition des stationnements latéraux (dans l’ordre : commerces, piétons, terrasses, route, re-promenade et plan d’eau).
Et les enjeux alors ?
Posée à plusieurs reprises, la question “Quel cahier des charges ? Quels sont les objectifs communiqués par la Ville?” est restée sans réponse : «ça sera le travail du maitre d’œuvre» (2). On s’en tient donc au postulat très général d’harmonisation et valorisation de la façade commerciale qui dit tout et rien à la fois !
Contrairement à l’intitulé de cette réunion publique « Les Enjeux du quai De Gaulle», ceux-ci n’ont pas été détaillés autrement que par les questions du public éludées : «oui bien sur, on y réfléchit», «c’est juste une esquisse pour l’instant».
Une formule péremptoire «La ville en a besoin» tient lieu de réflexion structurée pour qualifier des besoins qui justifieraient un tel chantier, 2 ans de travaux annoncés et une dépense estimée de 6 millions d’euros au bas mot d’après une grille en fonction des surfaces.
Tout le monde est d’accord depuis des décennies pour dire que Bandol ne met pas assez en valeur une position littorale exceptionnelle. Mais pas moyen d’obtenir un axe défini en priorité !
> amélioration de la qualité paysagère ?
> optimisation de circulation ?
> harmonisation architecturale ?
> conciliation des usages ?
ou bien tout en même temps ?
Au moins un des besoins clairement identifiés est l’harmonisation des devantures «pour en finir avec des magasins “souks” et le patchwork existant».
Une Charte devrait être rédigée (quand ? par qui ?) pour une mise en cohérence des enseignes commerciales, mais elle n’aura aucun caractère contraignant (une charte n’est pas un règlement), et des délais seront consentis pour sa mise en application. Il ne faut donc pas s’attendre à une amélioration visuelle avant un certain temps.
La volonté de mettre fin aux baux précaires est également mise en avant mais une réalisation effective laisse sceptique.
Des contradictions
Ce projet du quai de Gaulle pour le moins minimaliste tente désespérément de concilier l’inconciliable et s’est construit sur des contradictions :
• Vouloir diminuer la trop forte présence des voitures sur un axe de circulation et de desserte majeur vers le reste de la ville sans proposer d’alternative,
• Vouloir fluidifier la circulation estivale avec la suppression d’une voie !
• Vouloir offrir un «nouvel outil» pour les commerçants, qui risque surtout de les étrangler avec les nuisances du chantier et l’impact négatif attendu sur leur chiffre d’affaire,
• Vouloir mettre en valeur le patrimoine en commençant par tout raser vers une nouvelle ère pour Bandol,
• Vouloir maintenir l’existant mais sans rien n’améliorer, ni le stationnement, ni la sécurité routière, ni l’implantation des terrasses (les surfaces restent inchangées et ne seront plus couvertes)… Les bénéfices d’un tel chantier ne sont dès lors pas très évidents.
Des impasses
Ni la gestion du ruissellement urbain, ni le risque de submersion ou d’inondation, pas plus que le stockage et le ramassage des déchets n’ont été intégrés dans le projet. Il faudra les questions du public et les éclaircissements de Jean-Pierre Chorel, élu à l’urbanisme, pour aborder brièvement les enjeux des livraisons quotidiennes, du marché hebdomadaire, ou l’éventualité d’une piste cyclable.
En fait d’innovation et de développement durable, aucun concept n’est mis en avant, ni une gestion raisonnée des végétaux (on rase tout et on replante au lieu de valoriser le patrimoine arboré qui a mis si longtemps à produire de l’ombre et du paysage), ni aucun objectif d’économie d’énergie : chauffage et climatisation devront tourner à plein régime pour compenser les effets d’une telle esplanade. On fait tout l’inverse des préconisations nationales du Plan Climat Energie et du simple bon sens provençal.
Peut mieux faire…
En l’état actuel de l’élaboration, il ne s’agit pas d’un projet de ville, puisque les habitants en sont absents de bout en bout : ni dans l’analyse des usages, ni dans le respect de leur patrimoine, ni dans une recherche de mise en cohérence architecturale.
Cette réhabilitation du quai De Gaulle prévue pour être juste une «vitrine» de Bandol n’a même pas de sens puisqu’elle ne se donne pas réellement les moyens d’une harmonisation concrète des enseignes et devantures, ce qui était quand même l’objectif essentiel, et inquiète presque plus les commerçants qu’elle ne les réjouit.
Il y a fort à parier que même les touristes, inhabitués des cantines bruyantes, n’y trouvent pas leur compte avec un open-space qui aura tout d’une fournaise aveuglante en plein été (le temps que les nouveaux arbres poussent), n’incitant pas à la promenade. On est bien loin pour l’instant de la qualité de bien-être recherchée par les visiteurs de Provence.
On peut même douter d’un calendrier lui déjà très précis, qui se donne seulement 2 ans pour accoucher de ces esquisses inabouties.
D’après les réactions du public, cette première présentation des enjeux du quai de Gaulle, qui est une gageure et une réelle opportunité pour la ville, est passée à côté et n’a pas vraiment convaincu. Les Bandolais devront attendre jusqu’à Octobre pour une prochaine présentation plus complète. Ceux qui souhaiteraient avoir voix au chapitre, en dehors des cahiers d’observations mis à leur disposition à la mairie et à la médiathèque, peuvent toujours se rapprocher des commerçants, qui eux ont réclamé plusieurs «réunions de travail» d’ici là, ou encore des commissions extra-municipales qui servent aussi à faire remonter les observations.
(1) Lors de la présentation, l’architecte-paysagiste n’avait pas eu l’air de savoir que la voie Nord «côté magasins» permettait d’accéder au parking central, la capitainerie et l’aire de carénage à mi-parcours (devant l’Escale) et a donc omis de conserver cette possibilité pour les secours…
(2) Il y a parfois confusion entre maitrise d’ouvrage (ici la Ville) et maitrise d’œuvre (le chef de projet, ou l’architecte). En règle générale, la définition des besoins reste sous l’entière responsabilité de la maîtrise d’ouvrage qui est seule à même d’identifier les usages sur son territoire, des habitants, des professionnels, des visiteurs… Le maitre d’œuvre qui n’a pas forcément une connaissance du territoire est là pour apporter des solutions techniques, et non pour élaborer un projet de ville.
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