Nouveau quai de Gaulle : le règne du vide.
” A Bandol, on est venu encombrer l’espace public, on l’a surchargé avec du mobilier. L’espace est séquencé, barré par des obstacles jusqu’à la mer : le terre-plein et les jardinières. On n’a plus de porosité.” Alain Goldtsimmer, paysagiste.
Comme lors de la première présentation publique, cette fois encore des termes reviennent souvent dans les discours des intervenants comme un refrain. Porosité. Ouvrir l’espace et les perspectives. Créer du lien terre-mer…L’objectif est de désencombrer, de faire le vide, le grand ménage.
Et cette fois-ci, de nouveaux termes apparaissent : les plantations prévues prennent les proportions d’une canopée, une coulée verte…
Des termes techniques de l’aménagement
1 L’espace ouvert
L’“espace ouvert“ est une expression utilisée par les urbanistes pour désigner les superficies non bâties intégrées dans le fonctionnement des aires urbanisées. Cette notion apparait aux USA dans les années 70, avec Ian Mc Harg, un urbaniste-paysagiste. L’ouverture fait alors avant tout référence à l’échappée visuelle paysagère par contraste avec l’“horizon fermé” qui caractérise l’espace bâti des grandes villes américaines. (1)
En Europe, la formulation d’espace ouvert, “open space”, n’est utilisée que plus tardivement et traduit alors une volonté de modernisation. Les services municipaux de la mairie de Bandol ont d’ailleurs été aménagés un temps sur ce schéma d’“open space” avant d’être déménagés très récemment parce que finalement cela ne fonctionnait pas.
On peut se demander si cette notion novatrice il y 50 ans, introduisant la dimension sociale de l’environnement dans les grands espaces urbanisés, est pertinente appliquée à l’échelle d’un port comme Bandol, aujourd’hui. L’engagement de campagne vis à vis des Bandolais n’a jamais été de changer radicalement la physionomie de Bandol pour lui donner cette dimension implicite de métropole ou de “modernité”. (2)
Toute proportion gardée, avec un peu plus de 500 mètres linéaires en façade maritime, le port de Bandol n’est pas ce que l’on pourrait qualifier d’aire urbanisée fermée. Certains en parlent même encore comme d’un village provençal. Ce postulat de base résonne donc étrangement en face des pointus alignés pour rappeler les racines de Bandol. Créer un espace de vie ou un panorama ouvert peut se justifier à La Défense ou même au Mucem mais pas à l’échelle d’une petite ville touristique comme Bandol qui veut séduire le visiteur aux accents de Provence. Les enjeux paysagers sont majeurs pour une ville qui axe majoritairement son économie sur son potentiel de séduction. L’attractivité se définit en fonction de qui l’on est et de qui l’on veut attirer. Doit-on conférer à Bandol une spacieuse image de hall d’aérogare et risquer de vider un peu plus sa substance de «Patrimoine provençal» ?
(1) «L’espace ouvert pour une nouvelle urbanité» par Mayté Banzo :
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00618968
(2) «Envisager les dynamiques de cette ville émergente sous l’angle de l’ouverture, c’est promouvoir l’idée de publicisation», or “Nous sommes entrés dans un nouveau temps de l’urbanisation, celui de la métropolisation, troisième temps de la modernité (Ferrier 1998)»
2 La porosité
En architecture on parle de la porosité du bâti en opposition là encore à la densité de construction lorsqu’il s’agit de créer de la fluidité urbaine. La porosité implique une multiplicité de poches de respiration, de passages, de zones de rencontres et de places, associée à une mobilité douce. Là encore de quoi parle-t-on ? On est sur un quai maritime qui par définition est déjà une ouverture, une porte d’entrée sur la mer. D’un côté des façades, de l’autre côté la mer. Le terre-plein central ni les jardinières ne représentent une telle densité de bâtis qu’il faille les supprimer pour réoxygéner la zone et voir la mer ! Quand on vient à Bandol, on sait où est la mer qui omniprésente.
En fait de porosité, on s’attendrait plutôt à une évocation du lien terre-mer pour revaloriser les passages vers la rue Marçon. Mais rien là dessus, sauf pour les livraisons qui se feront désormais “derrière”, dans la rue Marçon. Question revalorisation, on repassera !
Et au contraire d’une porosité terre-mer, pour les prochaines décennies, faudrait-il se mettre en conformité avec les enjeux de sécurité ou de prévention face aux risques environnementaux (pollution, inondations, tempêtes, submersions marine…) ou de circulation dont il n’est fait aucune mention non plus, et réfléchir ce nouvel aménagement comme l’opportunité de création d’une zone de protection (rempart, buvard, écran…) pour cet espace public auquel on voudrait redonner vie !
Dans la même ligne terre-mer, c’est aussi le vide total concernant le stockage des matériaux et des précautions qui devront être prises face aux risques d’impacts environnementaux pendant les travaux. Ceux-ci auront lieux en période hivernale, favorable aux lessivages des pluies et aux largades, et il est donc impératif de pallier à tout rejet en mer.
3 La végétation
La coulée verte (3) et la canopée sont d’autres termes spécifiques du jargon de l’aménagiste paysager. La canopée est la strate supérieure du houppier des forêts comprise dans sa valeur d’ensemble dense et continu. Ces deux termes évoquent de larges zones protégées de verdures, de parcs, de promenades en forêts peuplées de grands arbres, des zones aménagées pour marquer une rupture paysagère et oxygéner des zones fortement urbanisées… là encore un jargon légèrement décalé à l’échelle du projet, sauf à considérer le quai de Gaulle comme les Champs Elysées bandolais.
(3) Visite de la coulée verte de Paris 12e qui s’étire sur 4,5 km : https://www.francedigitale.com/randonnee/afficher/58
Cela dit, c’est quand même le point fort du projet. Pour ceux qui s’inquiétaient de voir disparaitre le terre-plein central et ses grands pins, le discours se veut rassurant : “Les arbres seront conservés dans la mesure du possible”. Les essences seront sélectionnées par un spécialiste et adaptées à chaque module, selon que l’on veuille une ambiance ombragée ou pas, exotique ou provençale (palmiers à l’entrée de ville et platanes pour la place du marché). Les sols seraient même rendu perméables à 60% ! Ainsi végétalisé, cet espace sera gage de qualité de vie et de fraicheur. Mais le délai nécessaire à la maturité de cette canopée n’est pas précisé… Il y a fort à parier que la réalité ne ressemblera pas aux illustrations avant longtemps ! Les arbres sont des êtres vivants qui, contrairement à ce projet, prennent leur temps pour grandir.
Du vide au désert
«On va vivre, à Bandol, totalement l’espace» AG
De 4 mètres de large, la bande piétonne devient une “promenade“ de 19 mètres ! De quoi avoir la place pour … marcher,…mais encore ? Que faire de tout ce vide ? Agrandir les terrasses ? non. Créer une piste cyclable ? non.
Avoir plus de place pour plus de monde ? il sera en effet plus aisé et confortable d’arpenter le port et ses vitrines en Juillet et Août mais le bénéfice ne sera significatif que pour ces 2 mois de la saison pleine. Le reste de l’année, de Septembre à Juin, cet espace vidé de la fréquentation massive estivale laissera d’autant plus une impression de ville morte.
De l’essentiel au superflu
Cette 2e présentation du nouveau quai De Gaulle intitulée : “un Espace de vie retrouvé” est sensée combler la frustration laissée par la 1ere série d’esquisses présentée en Avril dernier.
A l’origine une bonne intention, le projet avait pour vocation de remettre en cohérence l’enfilade disparate des devantures des commerces pour une représentation de ville plus qualitative.
Or on se retrouve à remettre en cause le seul élément qui fonctionnait bien visuellement, le terre-plein central et sa végétation, au motif de «retrouver de la porosité» et “mieux voir jusqu’à la mer” ! Et finalement la charte de mise en cohérence des enseignes n’est plus une priorité par rapport aux travaux. « C’est pour plus tard ! On travaille sur une charte en concertation avec les commerçants, mais ça sera fait»… «la charte, ce n’est pas comme quand on crée une commission pour ne plus en entendre parler ! Ça sera un outil utile».
Un vide en contradiction :
potentiels et insuffisances
La recherche du vide et de la modernité se conçoit lorsqu’elle est une réponse à un besoin : compenser une densité asphyxiante, créer du lien social, faire une pause dans des zones bétonnées.
Dans un projet de renouvellement urbain, l’espace vide apparait comme une option légère et modifiable. Dans sa dimension de potentialités c’est une formule passe-partout facilement adaptable. «Dans cette perspective, l’espace ouvert est donc le plus souvent envisagé comme :
– un espace végétal ;
– un gage de qualité environnementale pour une ville plus durable ;
– une condition du bien-être et de la qualité de vie des habitants ;
– un outil de qualification et de requalification des interstices urbains ;
– une matière pour l’élaboration de nouvelles formes d’espaces publics» (1)
Mais ici, en l’état, à bientôt 7 millions d’euros, le vide ne suffit pas à répondre à des enjeux majeurs qui seraient : la continuité patrimoniale, le maintien d’une identité historique de l’ancien port de pêche et de marchandises renommé. Il ne remet finalement pas en cohérence pas plus qu’il ne sécurise, hormis une unité de revêtement apriori en rupture avec la typologie des ruelles pavées parallèles. Les enseignes resteront dépareillées avant longtemps. L’ancien quai du midi promet d’être un désert 9 mois sur 12. L’espace gagné dans de belles proportions et embellis d’arbres déplace les points gênants (la gare routière, les stationnements, les livraisons ) plus loin ou plus tard ( la gestion du pluvial, les bassins de décantation, la charte et même la plage elle-même) et n’a d’autres ambitions que de créer l’illusion d’une autre échelle, plus grande … un peu trop même. La place manque malgré tout pour l’essentiel, et d’une réunion à l’autre, les stationnements pourraient bien se retrouver, en fin de compte, regroupés en étage sur le parking central, une zone naturelle dans la bande des 100m, celle-là même sensée ouvrir la perspective sur la mer !
Si la réflexion avait été plus ouverte elle aussi, peut-être aurait-elle permis aux habitants d’avoir leurs mots à dire, pourquoi pas de faire des suggestions, d’enrichir des échanges réservés aux seuls commerçants et parvenir à un projet consensuel et adapté.