Comprendre la loi Littoral dans l’espace et le temps

Pour comprendre la loi Littoral, il faut se replacer dans le contexte physique et imaginer que cet outil juridique est avant tout destiné à penser l’avenir du littoral.

Fermer les yeux. Se bercer du bruit du ressac, subir la gifle salée d’une tempête ou entendre les rires d’enfants sur une plage. Derrière chaque loi, il y a une intention concrète de gérer des usages collectifs et d’apaiser des conflits potentiels à la source. La loi Littoral va bien au delà et prétend conjuguer la survie physique d’un territoire, éminemment instable et précieux, avec le développement vorace de notre société humaine.

Un espace physique

Le littoral n’est pas un lieu géographique comme un autre : fluctuant, condensé d’habitats de biodiversité, soumis à une mobilité structurelle intrinsèque sous l’influence des éléments naturels et de l’artificialisation, il respire, il est fragile. Pendant longtemps, on a voulu fixer le trait de côte avec des méthodes “dures”, on sait désormais que les techniques de protection alternatives non contraignantes de l’environnement naturel sont plus efficaces dans le temps. Une loi spécifique au littoral ne pouvait pas être comme les autres. Elle s’est révélée à l’image du rivage, à la fois impérieuse et subtile, aux contours insaisissables, complexe et en constante évolution, à la fois puissante et vulnérable.

Perspective du temps

La loi relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral dite loi littoral est née en 1986 en réaction à la très forte bétonisation des grandes plages du Languedoc-Roussillon dès les années 60 (1). Le conservatoire du littoral avait, lui, été créé en 1975 avec la volonté déjà de freiner l’urbanisation des espaces naturels. Il aura fallu encore des années pour la publication des décrets (dont le décret Plage) et plus de 30 ans plus tard la problématique reste encore furieusement d’actualité (2) !

Penser le littoral en un développement compatible avec l’évolution des activités humaines, c’était déjà s’inscrire avant l’heure dans ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui le “développement durable”. L’équilibre est la clé pour la pérennité des activités multiples et des ressources du bord de mer. La bonne santé du littoral est la condition de cet avenir.

Comme toute loi d’aménagement et de gestion du littoral, la loi Littoral se projette sur le long terme.

La côte boisée du Capelan de plus en plus mince, identifiée espace remarquable par la loi Littoral.

Des notions nécessairement imprécises

Loi d’aménagement plus que simple loi de préservation de l’environnement, son objectif est la maitrise de l’urbanisme alliée à une protection stricte des espaces et des milieux naturels les plus caractéristiques.
En long et en large (linéaire côtier d’épaisseur dégradée) la loi Littoral repose sur 6 principes fondamentaux :

1- L’urbanisation ne peut se faire qu’en continuité d’agglomérations et villages existants.

2- Une extension limitée dans les espaces proches du rivage et qui doit être motivée.

3- En dehors des espaces urbanisés, inconstructibilité sur la bande littorale des 100 mètres qui peut être étendue à plus de 100m par le PLU en cas de risques (érosion).

4- Le respect des Coupures d’urbanisation pour éviter une artificialisation continue du front de mer.

5- Les nouvelles routes littorales (pour la desserte locale) sont interdites sur le rivage, et ne peuvent le longer. Les nouvelles routes de transit ne peuvent se faire à moins de 2 000 mètres du rivage.

et sans oublier bien sûr le fameux
6- Libre accès piéton du public aux plages et aux sentiers littoraux.

Le tout reposant sur la notion de capacité d’accueil, en terme d’infrastructures et d’impacts sur l’environnement, dans une approche plus qualitative que quantitative centrée sur les possibilités de ressources du territoire au-delà desquelles la pression n’est pas acceptable. [ce n’est pas l’approche utilisée à Bandol où le PLU se contente d’un simple ratio chiffré de surface disponible !]

L’avenue George V aujourd’hui au Capelan est-elle encore un sentier piétonnier ou une route ?
La multiplication des permis en arrière de zones naturelles a créer une imperméabilisation des sols : le sentier littoral est aujourd’hui muré et bitumé au Capelan (av. George V) et bétonné le long du nouveau restaurant Le Méditerranée, et les jardins en arrière plage du Grand Vallat (en lit majeur du fleuve côtier) ont laissé place à une nouvelle résidence. Ces constructions, dans la bande des 100m, n’auraient pas été possibles avec un PLU plus protecteur pour les zones sensibles (effondrement, érosion, submersion) intégrant la loi Littoral.
Bâtis anciens et constructions nouvelles !

Trop ou pas assez

Aujourd’hui la commune de Bandol applique une urbanisation qui fait fi de la loi Littoral, non pas que la loi Littoral ne s’applique pas à Bandol (elle s’impose hiérarchiquement, à Bandol comme ailleurs), mais la plupart des constructions en bord de mer sont antérieures à la loi Littoral. Le texte de la loi étant un outil modulable qui offre une appropriation volontaire des communes, celles qui n’en veulent pas, considérant seulement le risque de recours des promoteurs, disposent d’une certaine latitude pour jouer de mauvaise foi. Le zonage du PLU de Bandol considère ainsi toute la zone littorale des 100m hors centre ville (arrière plage du Grand Vallat, le Canet, le Capelan…) comme étant urbanisée (en zone UD) (3), sans aucune nuance ni précaution pour les zones naturelles et marines à enjeu (paysage, biodiversité, qualité de l’eau…), et la délivrance des autorisations de construire se poursuit donc dans une logique urbaine où la loi Littoral est tout au plus un slogan d’écolos velléitaires.

Demain, les risques de submersion marine (4), d’érosion, d’inondation et de ruissellement devront nécessairement être pris en compte dans la planification urbaine. En conséquence, les zonages devront-ils être nuancés selon les secteurs et les enjeux considérés : même construite, une zone pourrait ainsi (re)devenir une zone à naturaliser ou à protéger au regard des risques littoraux. Et les plans d’urbanisme locaux devront les identifier.
Avec le changement climatique, la loi Littoral se révèlera-t-elle aussi un atout pour l’adaptation des territoires ?

La côte du Liouquet à Saint Cyr
Aménagement de sécurité (enrochement maçonné) “invisible”
bordant la promenade au sud de Bendor

Chacun des principes de la loi Littoral compose un tissu de règles d’aménagement visant finalement à une non aggravation de la vulnérabilité des biens et du profil du rivage. A la notion de capacité d’accueil pourrait se rajouter une intéressante notion de capacité de développement…

Le cœur et l’esprit de la loi

Pour un enjeu exceptionnel, il fallait une loi exceptionnelle qui ne ressemble pas aux autres. A la fin du XXe siècle, cette loi d’avant-garde est une spécificité française enviée à l’étranger préconisant une interprétation -voire un choix- et une connaissance géographique du territoire. Le littoral porte en lui le combat de deux espaces que sont la mer et la terre, ligne frontière fuyante sans cesse remise en cause et témoin des victoires et des défaites de l’un ou l’autre. Il est aussi le miroir d’une arrogance qui prétend s’approprier, recréer, et figer cette frontière sous les yeux d’une biodiversité déclinante. La loi Littoral porte en elle toutes ces contradictions qui la rendent, de fait, difficile à appréhender dans une logique rigoriste et manichéenne. Dans les actes, elle reste globalement incomprise et mal appliquée.

Dans notre association, Bandol Littoral, nous ne sommes pas des juristes. Ce n’est donc pas avec des alinéas de jurisprudences que nous comprenons la loi Littoral. Nous la comprenons avec le cœur, “les pieds sur terre et les yeux tournés vers la mer”. Qui comprend le littoral et ses exigences, “comprend” une loi qui a comme principe la protection des rivages.

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(1) Vidéo archive de l’INA : https://www.ina.fr/video/NA00001344124

(2) Un tout nouveau rapport parlementaire « Quel littoral pour demain ? », en date du 28 novembre 2019, propose des pistes pour l’aménagement et la gestion des espaces littoraux, pour l’adaptation au changement climatique et au recul du trait de côte et pourrait être le socle d’un futur texte de loi sur la recomposition spatiale des territoires littoraux déjà évoquée dans notre article S’adapter n’est pas un choix.

(3) Il existe une distinction entre une zone “urbanisée” et une zone juste construite de manière éparse. En ne faisant pas cette distinction et en permettant une densification du bâti, au fil des autorisations et des divisions de parcelles, les zones construites deviennent des zones urbanisées, fortement imperméabilisées. Le zonage est un choix des élus qui oriente l’urbanisme.

(4) En 2014, un rapport du sénat (N°297) préconisait d’ajouter un troisième motif d’extension de la bande littorale pour les risques naturels liés aux submersions marines.