Inondations à Bandol : la goutte d’eau et le béton.

Une contrainte physique

Il ne faut pas s’y fier : sous ses airs de rien, cela fait des siècles et des siècles que l’eau façonne la planète et s’amuse de notre arrogance. Des millénaires qu’elle dessine les continents, leur donne des touches de verts, d’ocre ou de blanc, façonne des montagnes, et décide de qui doit vivre ou pas. Essentielle à la vie, l’eau est, de tous les éléments, le plus puissant.

Le béton n’est lui qu’un ramassis de grains de sable ayant abandonné sa forme meuble, la seule pouvant résister à l’eau, pour s’agréger en un matériau réputé solide qui n’a même pas un siècle d’expérience même si les romains en utilisaient une forme ancienne, l’opus caementicium, le béton précontraint date seulement de 1928(2 )).

Goutte à goutte…

Le principe des inondations résulte de l’addition d’innombrables gouttes d’eau. Une goutte d’eau, ce n’est pas grand-chose, mais ajoutée à une autre puis à une autre, cela finit pas faire des torrents.

Il résulte aussi d’une réalité physique : l’eau ne se comprime pas et elle obéit inexorablement à la gravité. Attirée vers le bas, elle tombe, elle descend.

– Si la surface du sol est poreuse, la goutte d’eau continuera son chemin souterrain jusqu’à rejoindre ses semblables, des centaines de millions d’autres gouttes comme elle, jusqu’à une nappe phréatique ou bien elle reprendra l’ascenseur des racines d’arbres pour refaire un tour de nuage ! C’est le cycle de l’eau.

– Si cette surface est imperméable, la goutte d’eau va continuer sa route, prendra le chemin le plus rapide avec plein d’autres gouttes d’eau jusqu’à la prochaine surface poreuse ou jusqu’à la mer.  Mais durant cette quête, notre goutte d’eau ( avec ses copines ) va générer inondations, montées des eaux, crues, ou remontées de nappes affleurantes. C’est le même principe de saturation que les embouteillages.

C’est une vieille histoire qui dure… mais qui s’est modernisée, remasterisée, avec le ruissellement urbain.

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Le béton gagne du terrain

Pour le béton c’est un peu pareil ! Insidieusement, l’artificialisation des sols gagne. Les pourcentages de sols perméables se réduisent chaque jour et ce n’est pas juste une façon de parler…

Chaque mois sur le panneau d’affichage de la mairie de Bandol (comme ailleurs) de nouvelles constructions, de nouvelles piscines, de nouveaux garages, de nouvelles extensions grignotent les terres perméables de la ville. Chaque jour aussi, sans besoin de permis, des jardins se recouvrent de dalles, de béton, de jolis parements carrelés pour ne plus se salir les pieds en rentrant à la maison. Quelques centimètres de macadam par ici, une maison ou deux par là, et puis un trottoir pour faire propre, un parking pour y mettre des voitures au propre. Et puis ce sont les contours des arbres municipaux, et puis quelques aires de jeux pour enfants aux normes sécurisées… Sans tambour ni trompette, les villes s’imperméabilisent, comme à Bandol où l’Espace Boisé Classé (3) du Capelan se retrouve avec 164m2 bétonnés, l’équivalent d’une vaste maison !… Ce sont autant de chemins vers les sous-sols que l’eau ne trouvera plus…

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Les gens du pays, autrefois, savaient bien comment lutter contre le ruissellement. Dans la région, les pluies sont souvent torrentielles et violentes.  Les canaux, restanques, et reboisement de flancs de coteaux étaient autant de moyens de contenir et d’absorber ces eaux saisonnières.  Un arbre peut « boire » 200 litres d’eau par jour. Une restanque est un mur de retenue en pierres sèches barrant le lit d’un torrent intermittent pour provoquer un atterrissement en amont, tout en laissant passer l’eau, et créer ainsi une terrasse de culture (source Wikipedia). Essentielles dans la lutte contre l’érosion et les inondations, les restanques ont été délaissées.

À ce titre, le sénateur Collombat, a fait il y a 2 ans un rapport intéressant et complet sur le phénomène des inondations dans le Var et le sud-est du pays. Il en analyse notamment la dimension humaine et explique que : «Le territoire méditerranéen est alors confronté, sans y être préparé, à l’arrivée massive de populations nouvelles.  À titre d’exemple, la population du département du Var est passée de 708.331 habitants en 1982 à 1.013.458 habitants en 2011 (+ 43 %).

Avec cet afflux de population en quelques décennies, on passe progressivement d’une population vivant avec le risque inondation, entretenant les rivières et les fleuves, à une population totalement étrangère aux éléments naturels et aux risques. On peut même se demander si, dans cet environnement de plus en plus artificialisé, la notion de risque a encore un sens, se demander si, dans l’inconscient collectif, les parcs d’attraction n’ont pas pris le relais de la forêt menaçante des anciens contes d’enfants.»

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Ainsi, la pluie, véritable miracle de vie pour le monde végétal, est-elle vécue de plus en plus comme une calamité dans nos villes. Parce que nous avons rompu le cycle de l’eau.

L’eau gagne la partie

Si les inondations ne sont pas une nouveauté, en revanche leur fréquence inquiète.

Alors qu’est-ce qui a changé ? Et pourquoi ? Non contente d’éprouver les infrastructures de la ville, la pluie sape maintenant le moral des populations. D’alerte en alerte, la météo nous rend un brin parano en criant au loup au moindre orage.  De fait, la moindre pluie occasionne des débordements dans les zones sensibles bien plus souvent qu’avant et les réponses aux inquiétudes des citoyens tardent à arriver.

Quand il n’est pas possible d’agir sur le facteur aléa (le dernier rapport du GIEC ne permet plus aucune illusion quant aux futures tendances du climat ), il va bien falloir viser une action de limitation des enjeux. L’urbanisation étant à la fois une cause et un enjeu de cet aléa, l’intervention d’un urbanisme volontaire est incontournable. Les plans de sauvegarde sont inconséquents si n’est pas pris en compte le problème en amont, à savoir ce qu’on peut éviter.

Lecture édifiante que cet article où les travers locaux s’avèrent n’être pas un mythe mais une spécialité. « Les Alpes-Maritimes et le Var, champions de la construction en zone inondable ! Entre 1999 et 2006 il s’est construit plus de 9000 logements en zone inondable dans les Alpes Maritimes. Un record qui en fait, avec le Var, le champion de France de cette spécialité. »

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Un début de solution sera d’appliquer enfin les lois qui existent, de mettre en place une prévention qui ne consisterait pas seulement à dire à la population «Restez chez vous en sécurité» mais bien d’anticiper un développement urbain en adéquation avec un zonage des risques fidèle à la réalité et non pas aux désirs des promoteurs, et surtout à respecter le chemin de l’eau.

Nous devons être conscients, chacun individuellement, que chaque goutte doit retrouver son chemin naturel.  Si des milliers de gouttes d’eau font des rivières, chacun de nous participe à leur barrer la route, chez nous, dans nos jardins, avec notre manie du «tout en dur», parce que ça fait plus net. Si l’amnésie a été collective, la prise de conscience doit l’être aussi. Il ne faut pas attendre une solution des autorités -qui ne pourra être que contraignante-, si l’on n’est pas déjà prêt soi-même à assumer une part de la responsabilité.

La sécurité et le bien-être des populations ne peuvent pas être soumis à l’accroissement extensif des zones construites.  Au XXIe siècle, il nous faut comprendre que le terme de «développement urbain» ne signifie pas nécessairement «extension géographique» ou «accroissement de population», mais plutôt «amélioration du cadre de vie» et «optimisation et préservation», sinon de civilisés nous deviendrons sinistrés.

Les solutions existent, il faut juste faire des choix.

Je cite encore une fois PY Collombat qui conclut dans son rapport :

“Plutôt que de se contenter de déplorer et de condamner aussi régulièrement qu’inutilement les manquements à cette réglementation, la résistance des habitants des zones inondables à quitter les lieux, l’acharnement des élus à développer leur commune, il serait plus efficace d’intégrer cette donnée pour en faire un moteur de la prévention contre l’inondation. Plus efficace de faire comprendre qu’on n’habite pas un territoire à risque sans un minimum de contraintes et d’efforts, individuels et collectifs.

Il ne s’agit pas de généraliser un quelconque marchandage de droits à construire contre des risques pour la population, ce qui serait aussi stupide qu’odieux, mais de faire en sorte que le projet de développement territorial non seulement intègre le risque et donc la protection contre celui-ci, mais fasse d’un handicap un atout.”

2 – Les Romains de l’Antiquité savaient faire du béton. Ils avaient découvert que, pour fabriquer un liant hydraulique qui fasse prise sous l’eau, il fallait mélanger à de la chaux des déchets de fabrication des tuiles et des briques ou des cendres volcaniques (provenant notamment de Pozzuoli, dans la baie de Naples, qui donna son nom à la pouzzolane, roche volcanique). Cette connaissance leur a, par exemple, permis de construire des ports protégés par des jetées en béton qui faisait prise sous l’eau, contrairement à la chaux (Vitruve, De l’architecture). Leur savoir s’est ensuite perdu au Moyen Âge. C’est la mise au point et le développement de la production des ciments artificiels modernes qui a permis l’essor de la construction actuelle en béton.

3 – Un espace boisé classé (EBC) interdit tous changements d’affectation ou modes d’occupation du sol de nature à compromettre la conservation, la protection ou la création des boisements.

NC