Concilier entretien des plages et préservation du littoral : fantasme ou réalité ?

Extrait page 17 du Mag municipale#34

Lecture et commentaires



“La laisse de mer est l‘accumulation par la mer de débris naturels (algues arrachées, éponges, œufs d‘animaux marins, méduses échouées, bois mort, etc.) ou d‘origine humaine, déposés à la limite supérieure du flot au gré des vagues, de la houle ou des tempêtes.

La commune, dans sa gestion raisonnée des espaces naturels du littoral, laisse ces formations de dépôt en période hivernale automnale permettant ainsi de retenir le sable constituant pour certaines plages un frein à l’érosion naturelle.

Une consultation a été lancée par la commune afin de réaliser un diagnostic du littoral et de suivre son profil bathymétrique, c’est-à-dire la mesure des profondeurs et du relief dans la mer pour déterminer la topographie du sol sous-marin.
Cette étude de 3 mois (coût d’environ 38 000€) doit permettre à la commune d’intégrer les enjeux environnementaux dans les futures pratiques de nettoyage des plages.”

Ce court texte concernant le littoral [seulement les plages en fait] publié par la municipalité de Bandol nous permet d’apprendre plusieurs choses :

Une définition de la laisse de mer

La définition donnée de la laisse de mer est illustrée par une photo de banquette de posidonies. La métonymie induite par cette illustration peut prêter à confusion sur la portée de l’enjeu. En effet, si cette publication traitant de “Concilier entretien des plages et préservation du littoral” n’est pas fausse,- les feuilles mortes de Posidonies sont un cas particulier de laisse de mer-, en revanche elle omet de préciser le plus important et ce qui fait précisément toute la difficulté de l’exercice de conciliation, à savoir le statut strictement protégé de la Posidonie, et ce même sous forme de laisse de mer. La banquette de posidonies est une laisse de mer spécifique à la Méditerranée, remarquable par ses proportions volumineuses et surtout son intérêt écologique.

L’accumulation de posidonies laissée par la mer n’est pas un déchet (comme pourrait le laisser croire la publication municipale) et son maintien sur les plages est fortement encouragé (1), d’ailleurs son enlèvement complet (extraction hors site) est interdite. Or une plage présentable pour le tourisme se doit d’être conforme à la carte postale : exclusivement de sable blanc. Avec la menace de la disparition des plages due à l’érosion, la prise de conscience actuelle implique dorénavant pour les municipalités gestionnaires de devoir concilier le nettoyage de plages et la préservation de ces mêmes plages assurée en grande partie par le maintien des banquettes, alors que jusqu’à présent 88% des décideurs conçoivent les modes de gestion de plages seulement en réponse à la demande touristique.

Une nombreuse littérature technique existe sur les enjeux du maintien de ces dépôts, les laisses de mer d’une façon générale et les banquettes de posidonies en particulier, pour la préservation des plages.

Or la mer ne fait pas le tri entre les débris naturels, et les déchets humains (micro et macro déchets plastiques ou issu du BTP) de plus en plus nombreux. Si les premiers sont favorables à la biodiversité des plages, les déchets polluants doivent être enlevés. Pour cette raison, le nettoyage écologique manuel des plages est vivement recommandé pour limiter “les effets collatéraux néfastes qui génèrent la disparition ou la fragilisation des écosystèmes, et donc l’accélération de l’érosion.”

Une gestion raisonnée c’est quoi ?

On apprend aussi que la municipalité pratiquerait une gestion raisonnée des espaces naturels du littoral ! “La commune, dans sa gestion raisonnée des espaces naturels du littoral,…”
La démarche de gestion raisonnée consiste à concilier l’accueil du public et la conservation du milieu.

“Intégrer les enjeux environnementaux dans les pratiques de nettoyage des plages” est en effet le propre d’une gestion raisonnée, or c’est encore loin d’être le cas à Bandol, où chaque année s’effectuent des rechargements en sable de carrière, et chaque matin de haute saison touristique résonne en bord de mer le passage des engins lourds pour faire plage nette. En même temps que les laisses de mer, le prélèvement de sable par les cribleuses accentuent le phénomène d’érosion qui, si elles ôtent efficacement tous déchets, suppriment aussi un habitat pour la biodiversité. Ensuite, dans une logique de circularité, ce sable prélevé mécaniquement est redéposé plus loin, réutilisé non trié comme remblai (avec gravats et déchets) en interface de voierie pour : élargir le chemin d’accès par la digue de Renecros, épaissir le talus de Dog Beach ou aplanir la zone de stationnement des remorques de la cale de mise à l’eau. Non stabilisé, à chaque coup de Mistral le sable repart à la mer ; les petits fonds rocheux et l’herbier de posidonies proches se retrouvent ensablés.

La gestion des plages n’est donc pas anodine, et n’est pas raisonné qui veut ! Une mise en œuvre maladroite ou brutale peut avoir des impacts potentiels sur le milieu naturel et les espèces. Une gestion raisonnée demande la définition d’un plan de nettoyage approprié afin d’appliquer des protocoles différenciés en fonction des vocations et enjeux de biodiversité identifiés (notamment le maintien de la Posidonie en Méditerranée).

• Un diagnostic du littoral prévu

Ces quelques lignes du petit chapitre dans la revue municipale nous apprennent enfin qu’une étude de la topographie du sol sous-marin a été commandée par la commune ! C’est une bonne nouvelle pour ce qui pourrait être enfin la base de nouvelles méthodes de gestion réfléchies et responsables, sous réserve que cette étude ne se limite pas à la seule topographie (que l’on peut déjà trouver gratuitement sur la plateforme Donia) et inclue plus globalement la tendance évolutive et des considérations écosystémiques de biodiversité (inventaire faunistique et floristique…) en préalable à des préconisations.

https://donia.fr/carte/

Ainsi, une telle étude sur la plage de Saint Asile en bord de pinède de la commune de Saint Mandrier, tout récemment effectuée à la demande de la Direction Départementale des Territoires et de la Mer du Var, fait ressortir dans son état des lieux,terrestre et marin-, que les travaux de rechargement de la plage peuvent induire une menace pour la faune et des dégradations d’habitats naturels, notamment de l’herbier de posidonies : “Au vu de ces observations, on ne peut exclure un effet du ré-ensablement de la plage sur l’ensablement de certaines zones de l’herbier et la présence de matte morte récente.” L’éclairage de cette étude est d’autant plus intéressant que, dans le Var, 100% des dossiers de rechargement de plages ont été accordés en 2021 sans étude d’impact préalable.

En conclusion,

il n’est jamais trop tard pour bien faire. Une analyse locale précise sera utile pour définir le protocole adapté pour un nettoyage raisonné des plages bandolaises. Et au-delà de sincères motivations environnementales, c’est en tout cas une des conditions impératives pour le label touristique des plages Pavillon Bleu (2)

Cela dit, pour tempérer un optimisme béa, malgré les constats de l’impact négatif des rechargements de sable sur l’herbier vivant, les autorisations sont régulièrement délivrées pour cette méthode [dite “douce”] de lutte contre l’érosion des plages afin de ne pas gripper l’économie touristique.
Recommandation et incitation n’ont pas force d’obligation alors que l’enjeu dominant reste encore la fameuse “attractivité” balnéaire. La seule possibilité de concilier des inconciliables réside probablement dans la bonne volonté des élus décideurs de suivre les stratégies locales existantes (recommandées mais non obligatoires) définies par les services de l’état.

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EN SAVOIR PLUS :

(1) POSBEMED et POSBEMED 2 sont des programmes européens d’actions stratégiques en faveur du système “Plage/Posidonie” méditerranéen
Il en a résultait un GUIDE consultable ci-dessous.

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(2) Parmi les nombreux critères qui conditionnent l’obtention annuelle du label PAVILLON BLEU pour les plages, le suivi des herbiers marins sont un critère impératif.

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