DD comme Développement durable
• Ça ne peut plus durer comme ça !
C’est un peu à partir de ce simple constat, qu’est né le concept de développement durable dans les années 80 [ et même un peu avant *] d’une prise de conscience internationale des effets négatifs de la société de consommation sur l’environnement.
Vous l’avez peut-être remarqué, depuis quelques années on entend beaucoup parler de “développement durable”. Le truc semble incontournable au point qu’il y a au gouvernement un Commissariat Général au Développement durable (CGDD), un Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), et même à la mairie de Bandol, qui n’a ni élu, ni service dédié à l’Environnement, un conseiller est délégué au Développement Durable !
* « Avons-nous le droit d’accaparer la Terre pour nous tous seuls et de détruire à notre profit au grand détriment des générations à venir tout ce qu’elle a introduit de plus beau et de plus puissant ? » questionnait le naturaliste Edmond Perrier en 1913.
Même si la préoccupation n’est pas nouvelle [1], le terme est particulièrement tendance, dans “l’ère du temps” pourrait-on même dire, et se met à toutes les sauces : énergie durable, tourisme durable, mobilité durable, pêche durable, et même investissement durable et patrimoine durable [ si,si…], et avec des professionnels du développement durable [et toi, tu fais quoi ? du développement durable ! ] ! La fréquence de son emploi révèle l’importance de l’enjeu. Mais de quoi s’agit-il en fait ? D’écologie ou d’économie ? Ou bien est-ce juste une formule de “greenwashing” ?
Développement durable : escroquerie sémantique ou révolution de paradigme ?
[Et bien en fait c’est un peu tout à la fois !]
L’oxymore qui couple développement et durabilité révèle une urgence du long terme, et martèle un avenir de notre société court-termiste quand de nombreux indicateurs nous alertent chaque jour sur sa finitude ! L’acronyme DD, accolé à tout et n’importe quoi, est comme une prière mille fois répétée pour conjurer une inquiétude grandissante : “pourvu que ça dure !”.
Brandi de manière simpliste comme l’étendard passe-partout pour pallier aux effets de l’homme sur son environnement en tant que ressource, le “développement durable” supposerait en fait une rupture, une réforme du mode d’évolution de l’humanité, une révolution des mentalités.
” Dans cette période de remise en question écologique et sociale, il apparaît que les conséquences de l’illusion du développement deviennent ingérables. Malgré ce, le développement reste un concept universel que la pensée dominante impose comme l’évidence (Hazan, 2006). Serions-nous prisonniers des mots ?” C L
Source : Le développement peut-il être durable ? Claude Llena https://journals.openedition.org/ere/3286
• Un concept mal traduit
Le premier écueil pour une bonne intégration de la notion de Développement durable est sa terminologie en français. Le “développement” est souvent confondu avec la “croissance”, et le sens de “durabilité” est compris comme une simple continuité de l’existant dans le temps. La formule a perdu son contexte, que l’on trouve dans sa version d’origine (en anglais), “sustainable developpement”, dans laquelle transparait la notion de soutenabilité de l’exploitation des ressources limitées de notre planète.
Pour certains, comme le sociologue Claude Llena, la formulation porte en elle-même ses propres limites … “Les humains ont la prétention de dominer les langues or, ce sont les mots qui les dominent.” . Ainsi pour l’économiste Serge Latouche, partisan de la décroissance, quand on parle de développement durable « on a affaire à une monstruosité verbale du fait de l’antinomie mystificatrice de l’expression ».
Parmi les définitions du mot “développement” on trouve :
Action de dérouler, d’étendre… / action de se développer organiquement, de croître son résultat… / ou [En parlant de l’homme] Exercice de toutes ses capacités ; maturité humaine dans tous les domaines / ou encore [En parlant des aspects collectifs de la vie humaine] Action de prendre de l’ampleur, de l’importance, de la qualité ; d’accroître, de multiplier et d’améliorer (quelque chose) ; action de se développer ou de développer / et [s’agissant du point de vue économique] Amélioration quantitative et qualitative de la situation. / mais une des plus belles est : « action de déplier ce qui était enroulé sur soi-même » , « action d’évoluer ».
Tout développement suppose un début, une maturité et une fin. Dans la nature, aucune croissance n’est infinie, la croissance n’étant qu’une des phases d’un développement.
La notion initiale de la stratégie globale d’éco-développement par laquelle Ignacy Sachs[2] propose dès les années 70 un projet global de civilisation, devient dans les années 80 le “sustainable development”. Aujourd’hui on parle de Croissance Verte ou Bleue. Le terme en français de “développement durable” a trahi le concept qui a été galvaudé avant même d’être compris.
Peut-on encore honnêtement prétendre à une croissance durable (donc infinie) dans un monde dont on sait que non seulement les ressources ne sont pas illimitées, mais que certaines sont déjà en train de disparaître ? Alors que tous les voyants sont au rouge (biodiversité, état écologique des milieux, stabilité sociale, croissance économique, confiance politique…) peut-on encore penser notre société comme avant ? Et alors que dans le même temps a été inventée la notion de décroissance, un développement est-il encore possible ?
• Entre intentions et réalités
Le développement durable serait donc à comprendre comme la recherche d’une évolution soutenable de nos sociétés sur une planète qui s’épuise.
“En 1800, notre planète comptait 900 millions d’êtres humains. En 2020, nous avons atteint les 7,8 milliards, et en 2100, nous serons près de 10 milliards… La croissance de la population humaine s’accompagne d’une augmentation des consommations individuelles.” source Ademe
La bonne interprétation du concept est de répondre au questionnement : Quel monde allons-nous laisser à nos enfants ? La définition retenue du Développement Durable est d’ailleurs : « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs »
Selon les statistiques publiques de prévisions de production et de consommation énergétiques des pays, la production d’énergie fossile serait 120 fois supérieure aux préconisations pour limiter les émissions de CO2 (1,5°C souhaités par l’accord de Paris) que les états continuent de subventionner en dépit de leurs engagements climatiques.
Après le dernier rapport du GIEC et le sommet de la Biodiversité à Marseille où ont été égrenés des chiffres consternants [78% des stocks de poissons évalués sont surexploités, la Liste rouge de l’UICN des espèces menacées a dépassé la barre des 100 000 espèces en 2019, la planète a perdu près de 100 millions d’hectares en seulement deux décennies, la fonte des calottes glaciaires pourrait provoquer une hausse du niveau de la mer de 13 mètres d’ici la fin du siècle, rien qu’en France 17% des morts prématurées recensées en 2018 seraient dues à la pollution de l’air…], est-il encore concevable aujourd’hui de parler de Développement durable ou bien n’était-ce plus qu’un argument teinté en vert pour soulager les consciences et faire passer les couleuvres ?
D’autres termes sont utilisés en parallèles, porteurs d’une éthique[tte] plus juste quant aux enjeux : “responsable”, “renouvelable”, “alternative”, “sobriété”… Le choix des mots n’est jamais anodin lorsqu’il s’agit de changer une façon de penser.
“À long terme, il n’y aura pas de développement possible s’il n’est pas économiquement efficace, socialement équitable et écologiquement tolérable.”
Une transition de rupture
Parmi tous les discours étiquetés “DD”, seule la démarche traduit une réelle intention. Au-delà des mots, Le développement durable est aujourd’hui une nécessité d’actions et de contenus pour une transition bénéfique. Pour distinguer une vraie politique de développement durable, et juger de sa pertinence, il faut y reconnaitre ses 3 piliers fondamentaux que sont le social, l’économie et l’environnement. Si une solution est toute à la fois équitable d’un point de vue social et économique, viable aussi bien d’un point de vue économique qu’environnemental, et vivable autant pour les humains que pour l’environnement, alors c’est du développement durable !
Ces 3 conditions définissent le développement durable en synergie. Imaginez que vous deviez vous asseoir sur un tabouret à 3 pieds. Vous n’en choisiriez pas un dont un des pieds soit vermoulu, cassé ou trop petit ! Qu’un des pieds soient défaillant, vous tombez !
Or notre modèle de société privilégie trop souvent le volet économique au détriment des deux autres, le volet social et surtout le volet environnemental. La considération environnementale, jusque là négligée, revient en force dans le triptyque de base, pouvant laisser croire naïvement que le Développement durable se résume à de l’écologie, ce qui n’est pas tout à fait vrai !
Non, le développement durable ce n’est pas une couche de peinture verte sur les thématiques existantes vaguement en lien avec l’environnement, comme de multiplier les distributeurs de déjections canines, ou de stériliser les pigeons. Par contre rechercher une alternative au “tout voiture en ville”, les circuits-courts d’approvisionnement pour les cantines, le recyclage des déchets ou remettre de la nature en ville ou la démocratie participative relèvent d’une stratégie de développement durable. Economie de moyens, neutralité de l’empreinte environnementale, amélioration de la qualité de vie sont les objectifs du développement durable que l’on retrouve déclinés en 17 points dans les ODD de l’agenda 2030*.
Inscrire le développement de notre société dans le long terme de manière soutenable implique de définir de nouveaux modèles circulaires, et d’être en recherche de résilience.
Appliqué à une commune littorale balnéaire, parler de développement durable revient à se questionner dans un contexte de changement climatique sur les évolutions : du tourisme, de l’urbanisation, des risques littoraux, des ressources (eau, agriculture…), mais aussi à l’équilibre d’équité, de l’énergie dans la ville face aux hausses de température (îlots de chaleur urbains), … en bref le DD est transversal à quasiment toutes les thématiques locales ! La plupart de ces enjeux se retrouvent exprimés dans le projet d’aménagement et de développement durable de la ville, le PADD, qui définit les orientations du PLU pour les décennies à venir.
Par exemple, agir effectivement pour un littoral durable, impliquerait notamment une réflexion d’anticipation de l’urbanisme par rapport aux risques littoraux, dont en premier lieu l’élévation attendue du niveau de la mer. Dans cette logique parente de la loi Littoral, la loi Climat et résilience votée cet été impose aux communes littorales de prendre en compte le recul du trait de côte dans sa planification d’urbanisme et d’intégrer l’érosion côtière dans la cartographie locale, en privilégiant la relocalisation sur une échelle de temps long progressif [par un régime de constructibilité “gradué” : un horizon proche (moins de 30 ans) ; et un autre horizon à plus long terme (30-100 ans)]. A Bandol, dont le PLU est justement en cours de révision, le zonage de constructibilité pourrait bien [ou devrait] s’en trouvait modifié.
Le Développement Durable n’est pas une solution en soi, mais plutôt une méthodologie pour re-proportionner les 3 pieds du tabouret sans lesquels un équilibre harmonieux est impossible.
La folie consiste à refaire sans cesse la même chose, mais en espérant un résultat différent.»
Si ça ne peut plus durer comme ça, il faut donc changer ça !…
*Agenda 2030
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Pour aller plus loin :
[1] Gabriel Ullmann remonte le temps et relate les premières traces de la prise de conscience et cris d’alarmes face aux urgences et aux enjeux écologiques : “Le premier quart du XXe siècle marque l’amplification de mises en garde de la part de scientifiques tels que des écologues, mais aussi des géographes, des économistes, des physiciens qui ont critiqué l’action agressive de l’homme sur la planète. Parmi les économistes, citons par exemple, Ernst Friedrich, qui, dès 1904, s’en prenait même à « l’économie prédatrice caractérisée » de la civilisation contemporaine. De même parmi les géographes, Jean Brunhes alerte en 1910 sur « des faits d’économie destructrice ». Quant au naturaliste Charles Flahault, il déclare au IXe Congrès international de géographie à Genève en 1908 : « L’homme (…) voit trop souvent son intérêt prochain, l’intérêt de l’heure présente, et lui sacrifie les intérêts immanents, en violant les lois de la nature, en troublant l’ordre naturel. »[ lire l’article…]
[2] Source : un compte rendu par Haubert Maxime : Ignacy Sachs, Stratégies de l’écodéveloppement, en 1980 https://www.persee.fr/doc/tiers_0040-7356_1980_num_21_83_5734_t1_0689_0000_1
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Lire aussi :
Recul du trait de côte : de nouvelles obligations pour les communes littorales
20 % des côtes et 37 % des côtes sableuses sont en recul en France, la submersion marine menaçant 1,4 million de résidents français, selon une étude du Cerema. La nouvelle loi Climat et résilence
Loi Climat et résilience – Article 58 relatif à l’adaptation des territoires au recul du trait de côte : Dispositif d’information des acquéreurs et locataires / Zonage des territoires exposés / Articulation avec les plans de prévention des risques / Régime de constructibilité gradué / Droit de préemption spécifique.