Littoral schizophrène

Les gestionnaires des zones littorales, de part et d’autre, doivent faire le grand écart entre des notions qui semblent de plus en plus incompatibles.

Le littoral se fait fort d’accueillir un exode massif de population, et doit être toujours mieux aménagé pour des usages toujours plus nombreux. Tout le monde postule pour une place au soleil, les pieds dans l’eau, la vie rêvée au bord de mer : apéro en terrasse, farniente, mine bronzée, et autres signes extérieurs de bonheur… Cartes postales, agences immobilières et  agences de voyages nous vendent le rêve d’être seul au monde sur des plages de rêve ! Nous sommes ainsi des milliers à vouloir être seul au monde dans cette carte postale : il faudrait donc des milliers de monde ! De nombreux investisseurs y voit aussi l’aubaine de transformer une vue sur mer en monnaie sonnante et trébuchante. Le littoral rapporte et ça lui coûte cher !

Dans le même temps, certains d’entre nous se rendent bien compte que ce littoral étouffe et que son pouvoir de séduction est comme peau de chagrin : plus il exerce son pouvoir, plus il est condamné à disparaître. Alors on nous serine que le littoral est une zone fragile qu’il faut protéger parce qu’elle recèle des trésors de biodiversité essentiels à la pérennité des écosystèmes nécessaires à nos ressources. Quantité d’études et de spécialiste l’attestent. Notre littoral méditerranéen est parmi les plus observés, le plus étudié et souvent site pilote pour de nombreux programmes de recherche.
Quasiment dans tous les rapports et études du territoire, on pose le postulat de l’impact anthropique comme donnée paradoxale fondamentale ! Le littoral est exceptionnel mais en le soumettant à une pression de population et d’urbanisation grandissante, nous participons à le dégrader. Toutes les introductions admettent que notre précieux littoral est menacé par la pression foncière et démographique attendu pour les années qui viennent mais pour autant cette expectative n’est jamais remise en question !

Selon les formulations, il s’agit d’“équilibre” à rechercher, de “défi” à relever,… et pour cause puisqu’il s’agit de préserver la chèvre et le chou  !
Exemples de formulations que l’on va pouvoir lire :

“CONTEXTE GENERAL ET PROBLEMATIQUE
Le littoral méditerranéen et particulièrement celui de la Région Provence-AIpes-Côte d’Azur représente un patrimoine naturel et économique très important. La densité de population y est très forte, la zone côtière est le siège d’une très importante activité touristique et donc économique.”

ou encore

“300 km de côte, 80% de la population et 83% des emplois, des enjeux touristiques et économiques majeurs, des milieux littoraux terrestres, marins et sous-marins exceptionnels.”

ou encore

“La Gestion Intégrée des Zones Côtières (GIZC) qui se définie comme « un processus dynamique de gestion et d’utilisation durables des zones côtières, prenant en compte simultanément la fragilité des écosystèmes et des paysages côtiers, la diversité des activités et des usages, leurs interactions, la vocation maritime de certains d’entre eux, ainsi que leurs impacts à la fois sur la partie marine et la partie terrestre. “

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Voilà qui est posé !

De nombreuses mesures et initiatives sont prises : ateliers de réflexion, plans d’actions nationaux, directives européennes, regroupement de territoires et d’associations locales. Il faut protéger, coûte que coûte (enfin pas trop cher quand même!), ce littoral de paillettes bleues qui dépérit mais qui rapporte tant, en intégrant ces paramètres que les rapports, les expertises, les études définissent comme paradoxe inconciliable.

C’est la conclusion à laquelle était parvenue le sénateur Philippe MARINI, dans son Rapport d’information sur Les actions menées en faveur de la politique maritime et littorale de la France, déjà en 1998 :

“Ce qui est effectivement préoccupant, c’est que les formes d’occupation du territoire actuellement suscitées par l’essor touristique du littoral français soient peu compatibles à long terme précisément avec cette fonction touristique. Il convient de considérer alors le littoral comme un système productif, dont l’activité est le tourisme, et dont la ressource est le territoire. S’il consomme sans contrôle ce territoire, le tourisme sera rapidement condamné. »

Il nous faut donc protéger ce capital de bien-être physique et économique. Nous voulons croire en sa permanence qui signerait une croissance infinie pour nos sociétés conquérantes. Ce bonheur, cette richesse, cette beauté, ce bien-être précieux nous paraît un privilège acquis auquel nous prétendons tous, quitte à le détruire et il ne semble pas question d’y renoncer, ni d’y relâcher notre pression. Pourtant peu à peu, la conscience que nous ne pouvons pas nous exonérer de notre responsabilité apparaît évidente : pollution, artificialisation des sols, érosion accélérée, surpopulation, dégradation de qualité de l’air et de l’eau… Ses signes vitaux déclinent en proportion de notre déni à assumer.

Jusqu’à quand ?