Ruisseau de béton et promesses de papier

Un mur a été construit. Encore un.
En fin de course du dévalement des eaux pluviales urbaines, dans la zone basse du parc du Canet, un nouvel ouvrage de protection contre les inondations protège désormais une maison et le pied d’une résidence qui bordent le ruisseau de pluie.

On ne nous a pas demandé notre avis mais on le donne quand même !

Le ruisseau du Grand Vallon au Canet

Le ruisseau sec du Grand Vallon qui traverse le parc du Canet n’est que béton et désolation. Par manque d’entretien, ses berges de pierre s’écroulent et sont consolidées occasionnellement par des coulées de béton. Même dans le périmètre naturel du parc, son lit a été entièrement imperméabilisé pour l’installation, en dessous, des canalisations d’eaux usées. Chaque pluie lui arrache quelques pierres de soutènement de ses berges vers la plage d’Eden Roc. Lors de pluies intenses, le ruisseau, qui ne peut pas absorber l’eau, emporte terres et pierres du parc … pour de se jeter dans la mer, selon son humeur, en filets d’eau ou en torrent tumultueux. A chaque débordement, le ruisseau sec du Grand Vallon laisse des traces d’érosion visibles dans le parc municipal ! Pour pallier à ces débordements qui ont plusieurs fois occasionné de gros dégâts pour les habitations en contre-bas par rupture d’embâcle, une solution est proposée : un mur de barrage !

https://www.facebook.com/BandolLittoral/videos/1237736199904462/

Ce mur en gabion ne résout pas l’érosion qui dévaste le sol du parc. Il ne résout pas les risques d’embâcle sous les ponts en amont. Il ne contient pas les débordements d’un lit intégralement imperméabilisé et mal entretenu dont les berges s’écroulent. Pas plus qu’il ne ralentit pas la course du ruisseau vers la mer au terme d’un important dévers (jusqu’à 60% de pente) qui prend son origine dans les hauts de Bellevue.

En l’état cet ouvrage est supposé faire obstacle aux vagues d’embâcle, et sera accessoirement “un brise-vue naturel, une protection acoustique et un rempart pour le voisinage” d’après la communication municipale ! Et quid d’une remise en état du ruisseau ? Y a-t-il autre chose de prévu en complément ? Ce rempart fait-il parti d’un projet plus élaboré plus complet ?

Un diagnostic vieux de 36 ans

Selon le rapport de l’ancien schéma directeur d’assainissement pluvial vieux de 1984, l’écoulement du Parc du Canet correspond “au plus grand bassin versant de la Commune ; donc a priori, à des écoulement très importants”. Cette étude présentait un plan de solutions en 48 points névralgiques répartis dans la ville [mais construits depuis, oups !], et réalisable sur 5 ans. Il va sans dire que depuis 36 ans les écoulements n’ont fait qu’augmenter en proportion, parallèlement à l’urbanisation et l’imperméabilisation des sols !

Lutte contre les inondations pluviales,
à Bandol rien de concret

Extrait du Journal de Bandol n°27

Comme s’en expliquait la municipalité dans son magazine en début d’année, et malgré un titre engageant, hormis des travaux ponctuels d’entretien et de recalibrage du réseau pluvial, aucune gestion n’a plus été planifiée concrètement pour anticiper les inondations à Bandol, même après la dernière étude de 2008 (étude Ginger).

Pour se dédouaner, la municipalité explique que depuis 2008 “la commune a souhaité [c’est l’intention qui compte paraît-il !] disposer d’un Schéma Directeur d’Assainissement des Eaux Usées et des Eaux Pluviales”, en 2014 l’urgence a été de régler des problèmes de pollution des eaux de baignade, en 2015 elle a souhaité une nouvelle fois “engager la réactualisation du Schéma Directeur d’Assainissement Pluvial (SDAP) datant de 2008” mais sans résultats concluants à cause de la faible disponibilité foncière [et pour cause, des permis de construire accordés entre-temps ont occupé les terrains !], en 2017 la ville a perdu sa compétence “Eau et assainissement”… pour conclure -après coup et dans un sursaut tardif (2020)- que “Face au changement climatique, il faut un changement de politique.” .
En clair, depuis plus de 30 ans les rapports de papier s’empilent, mais faute d’une bonne connaissance des réseaux [qui sans entretien depuis 36 ans ont été oubliés]* et d’espaces suffisants [sauf à mobiliser les espaces verts disponibles…!], rien n’a été prévu ni ne sera plus réalisé par la commune puisque la patate bouillante est passée aux mains de l’intercommunalité qui a engagé un nouveau Schéma Directeur d’Assainissement Pluvial. Jusqu’à présent à l’échelle de chaque commune, le transfert de la compétence “Eau et Assainissement” aux intercommunalités oblige celles-ci à se doter d’un nouvel outil de connaissance et de planification de gestion des eaux pluviales élargi à l’échelle de tout le territoire. En mars 2019, un audit pour un nouveau schéma directeur des eaux pluviales a été lancé par la CASSB…

Lors de la dernière réunion de la Commission consultative de service publique de Sud Sainte Baume du 19 octobre 2020, le schéma directeur a été annoncé pour la fin 2020, et il nous a été confirmé devoir en prendre en compte les facteurs du changement climatique pour la préservation de la ressource Eau… [On attend, on attend…]

* SDAP ou SDGEP ? La réalisation du zonage d’assainissement pluvial d’un SDAP, seule, ne permet pas de lier développement urbain et gestion des eaux pluviales. Seule la réalisation d’un SDGEP permet d’y parvenir, dont le G comme Gestion implique une vraie planification stratégique des eaux pluviales, et qui est promue voire imposée par les SDAGE, SAGE et SCoT.)

le SDGEP, quès aco ?

Schéma directeur de gestion des eaux pluviales

Le schéma directeur de gestion des eaux pluviales est un document de gestion et de programmation en matière d’eaux pluviales qui permet de développer une stratégie de gestion des eaux pluviales et de programmation des travaux nécessaires en la matière.

“La gestion des eaux pluviales apparaît aujourd’hui comme une nécessité, aussi bien en ville, qu’en zone rurale. En effet, les sols largement imperméabilisés en milieu urbain transportent de nombreux polluants et favorisent le ruissellement. Pour les collectivités locales, la prise en compte des problématiques d’imperméabilisation des sols, du risque d’inondation et du risque de pollutions liés aux eaux pluviales représentent un défi de gestion majeur”, autant d’un point de vue environnemental que d’économies budgétaires ou d’amélioration de la qualité des eaux.

Avec l’outil de zonage pluvial, ce document a donc à la fois une portée prospective de gestion des eaux pluviales, et une portée juridique.

Le SDGEP prend en compte le SDAGE (Schéma directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux), fixe un règlement d’assainissement, fait le lien avec un éventuel contrat de milieu (contrat de rivière ou contrat de baie) et la compétence Gémapi, et constitue une articulation du zonage avec les outils de prévention des risques et les outils d’urbanisme.

Source : Cerema – 20/08/2020

Manque de prospective et d’une réelle volonté

Le dernier schéma directeur pour la ville de Bandol date de 2008 et sa mise à jour a été sans cesse reportée à plus tard depuis, à chaque retouche du PLU. En dépit des intentions -affichées mais restées lettre morte- de la commune de Bandol à se doter d’un schéma directeur, le document intercommunal se substituera et englobera le territoire communal. L’un des objectifs principaux du SGEG est de délimiter un zonage pluvial réservée aux zones à enjeux, là où «des mesures doivent être prises» pour maîtriser le ruissellement ou bien là «où il est nécessaire de prévoir des installations» pour assurer la collecte et le stockage des eaux pluviales, pour lutter contre des pollutions engendrées par les dysfonctionnements des systèmes d’assainissement.

Le transfert de compétence Eau et Assainissement va avoir des conséquences en terme technique et en terme d’organisation avec de nombreux enjeux à la clé : mutualisation, harmonisation, et simplification avec pour finalité d’optimiser la gestion et la qualité des services d’eau et d’assainissement.

Les travaux récents dans le parc du Canet auraient pu/du s’inscrire dans un projet global de gestion du ruissellement urbain. Encore une réalisation déconnectée d’une vue d’ensemble qui aurait pu trouver une meilleure intégration de l’espace (en terme de calibrage et optimisation de la performance).

Un exemple de projet d’aménagement contre les inondations

A la Garde-Freinet, un important projet d’aménagement de la rivière La Garde vise à maitriser les grosses crues et à protéger les habitations proches, assorti d’une communication telle que l’on aurait aimé avoir sur notre commune : un site internet dédié, une plaquette (diaporama ci-dessous)… Outre une bonne communication, sa particularité est une prise en compte adaptée et respectueuse de la géographie du territoire qui cherche à restituer son mode de fonctionnement naturel.

[Source / https://www.cc-golfedesainttropez.fr/noscoursdeau/agir-pour-nos-cours-d-eau/les-travaux-d-amenagement.html]

“Le Schéma Directeur dresse par commune et sur l’ensemble de ses bassins versants :
– un diagnostic du fonctionnement actuel du système étudié,
– identifie les pressions à venir ou envisagées,
– élabore le zonage et les prescriptions techniques jusqu’au point de rejet vers son milieu,dresse le programme d’action pour remédier aux problèmes qualitatifs et quantitatifs actuels et dans un futur proche dans le respect du SDAGE. Le zonage doit être annexé au PLU. Tout comme le plan de dessertes de réseau d’eau potable, ce schéma est un élément déterminant pour motiver l’ouverture et le choix des zones à urbaniser. La réduction de la pollution organique passe également par la maîtrise des volets quantitatifs etqualitatifs des eaux pluviales, nécessaire pour l’atteinte du bon état écologique.”
source DDTM de Charente Maritime. [Source/ http://www.charente-maritime.gouv.fr/content/download/8522/46058/file/Note%20int]

Les solutions d’une bonne gestion existent

Source infographie : Guide de recommandations du PAPI du Var

Parmi les objectifs des Plans de Prévention du Risque Inondation (PPRI), figure la réduction du coût des inondations pour la société :
– en réduisant l’accumulation de biens dans les zones exposées,
– et de privilégiant en premier lieu le service gratuit des zones naturelles, à intégrer dans les documents d’urbanisme, plutôt que des infrastructures prohibitives.

La circulaire interministérielle du 24 janvier 1994 l’avait clairement énoncé : “la nécessité de préserver ces capacités de stockage et d’écoulement impose que les zones inondables non urbanisées ou peu urbanisées fassent l’objet d’une préservation stricte destinée à éviter tout «grignotage» dont les effets cumulés seraient importants : de manière générale, toute surface pouvant retenir un volume d’eau devra être protégée, la généralisation d’une telle action sur l’ensemble d’un bassin devant être l’objectif recherché”. [source/ le PPRI de Sanary-Bandol 2017]

L’identification des zones de stockage et d’écoulement devraient être ainsi à prendre en compte par le PLU, avec une constructibilité adaptée, et par le schéma directeur des eaux pluviales. En principe…, mais en réalité le chevauchement des calendriers d’entrée en vigueur des documents gênent cette prise en compte effective. Le dernier schéma directeur des eaux pluviales à Bandol date de 1984, et 2008 pour la dernière étude, et celui annoncé pour Sud Sainte Baume tarde à venir.
Lire aussi … Ruissellement & inondation

Dans le parc du Canet, la mairie de Bandol a opté pour un mur de 2 mètres de haut ! Est-il supposé arrêter les submersions ou contenir les inondations ? Ici, la taille est-elle sensée déterminer l’efficacité de l’ouvrage ? Sa pertinence par rapport à son coût et sa localisation interroge quant à une stratégie globale sur la commune. Quelles études ont menées à ce résultat ?

De nombreuses possibilités, autres que de monter des murs, existaient… Que l’on veuillent ralentir, détourner, stocker ou infiltrer le ruissellement, une fois la stratégie de gestion définie, les solutions potentielles à adapter à chaque topographie sont multiples : noues, bassins de rétention secs, puits d’infiltration, tranchées drainantes ou infiltrantes. Dans un espace naturel comme le parc du Canet, en zone basse hydrographique, des solutions plus intégrées auraient été possibles, comme de valoriser le caractère paysager du parc avec une jolie réfection des berges et la création d’un bassin sec drainant ou infiltrant… (cf croquis ci-dessous)

Plusieurs techniques d’infiltration et de drainage sont cumulables selon les caractéristiques des lieux
et l’importance du ruissellement à maitriser.
Exemple d’une large noue enherbée dans la région lyonnaise.
A la différence d’un bassin qui est ponctuel, une noue est linéaire, un peu comme un ruisseau sec.

Une occasion manquée

Peut-être aurait-il été temps de penser à des solutions respectueuses du Grand Vallon et de simplement suivre les préconisations courantes des experts en matière de ruissellement et de gestion des eaux pluviales, telles que :
– désimperméabilisation et renaturation du talweg ( surtout dans son tracé en espace naturel ) pour augmenter ses fonctionnalités d’absorption,
– élargissement du lit du ruisseau pour compenser l’augmentation du ruissellement urbain,
– remise en méandres ( en amont), pour diminuer la vitesse d’écoulement,
– confortement ( naturel ) des berges du ruisseau pour éviter les débordements,
et pourquoi pas ( avec un peu d’imagination ), la création d’un bassin à poisson ou une mare à canard dans un parc communal plutôt qu’un mur.

à Bandol, le ruisseau sec du Grand Vallon, son lit et ses berges imperméabilisés

La création d’une mare artificielle pouvant accueillir une biodiversité hygrophile aurait eu le double avantage de ne pas dénaturer le parc, le rendant même plus attractif, et de servir de zone tampon en cas de pluies abondantes. Il est bien plus courant pour l’eau de s’infiltrer dans le sol plutôt que de franchir des murs : il est donc plus logique de chercher à la maîtriser et la guider à travers le sol que de vouloir l’arrêter à 2 mètres de hauteur.

Comme tout projet visible, un aménagement de gestion de l’eau de pluie créée du paysage et doit être réfléchi comme tel. Il demande une réflexion globale et fait partie de l’aménagement urbain : avec les fontaines, les moulins, les rigoles et les ponts, l’eau a toujours fait partie intégrante du paysage des villes et des campagnes dans une compatibilité parfaite d’esthétique et de fonction. Oublier le fonctionnement de l’eau dans le dessein de la ville, ou ne pas rechercher la meilleure solution possible pour le respect du cycle de l’eau, revient à mettre en péril soit l’un soit l’autre.

________________________________________________
Mise à jour du 5 Octobre 2021
Après l’orage : les chemins de l’eau ne sont toujours pas maîtrisés !

_______________________________

Pour en savoir plus, lire aussi :

Portail d’information sur l’assainissement communal : http://assainissement.developpement-durable.gouv.fr/moyens_pluvial.php

Guide pour la prise en compte des eaux pluviales dans les documents de planification et d’urbanisme – par le GRAIE, en 2014 : https://www.graie.org/graie/graiedoc/doc_telech/guideepurba.pdf